jeudi 23 novembre 2023

LES HOMMES ORDINAIRES SONT DANGEREUX POUR CEUX QUI LEUR SONT SUPERIEURS

Œuvre de Niranjan Guha Roy

Et généralement, tous ceux qui ont subi des supplices pour la foi, c'est-à-dire pour la plus haute pensée d' eux-mêmes, pour leur idéal le plus élevé, ont toujours senti une sorte de Grâce divine qui les aidait et les empêchait de souffrir. Naturellement, les gens du dehors appellent cela un « sacrifice » (cela se comprend, ils ont sacrifié leur vie), mais on ne peut pas employer le mot en ce qui les concerne personnellement, parce que, pour eux, ce n'était pas un sacrifice, c'était une joie. Tout dépend de l'attitude intérieure.
Maintenant, si à un seul moment pendant le supplice ils avaient eu la moindre idée : « Pourquoi suis-je torturé? », ils auraient souffert intolérablement. Une seule pensée qui passe suffit.
Presque tous les événements - en tout cas, presque toutes les grandes circonstances de la vie humaine - peuvent être regardés de deux côtés: d'en bas ou d'en haut. Si vous les regardez d'en bas, avec les sentiments de l'homme ordinaire, vous êtes épouvanté par la quantité de souffrance de tous ceux qui ont prêché une nouvelle religion ou qui ont voulu donner un exemple à l'humanité; ils ont tous souffert, c'est-à-dire qu'ils ont été tous persécutés par les hommes. D'une façon générale, à très peu d'exceptions près, les hommes n'aiment pas ce qui leur est supérieur, et quand ils rencontrent quelqu'un qui est très au-dessus d'eux (je dis, à part quelques exceptions), cela les rend furieux. Ils ont une gêne presque insurmontable à rencontrer quelque chose qui soit infiniment supérieur à ce qu'ils sont.
Ils n'ont qu’une idée, c’est de le détruire, et en fait c'est ce qu'ils ont fait. Ấ travers toute l'histoire humaine, c'est comme cela. Ceux qui sont venus avec des capacités spéciales, une Grâce spéciale et qui ont essayé de faire sortir les hommes de leur ornière ordinaire, ont été plus ou moins persécutés, martyrisés, brûlés vifs, mis en croix...
La situation est apparemment un peu meilleure parce que, maintenant, il faut des raisons un peu plus plausibles que celles-là pour brûler les gens, on n'a plus l'habitude de le faire, mais les sentiments ne sont pas très différents. La population humaine, d'une façon générale, a une sorte de rancœur pour ce qui la dépasse ; cela les humilie, et les hommes n’aiment pas être humiliés.


Mère, Entretiens 1950-51, 14 avril 1951



"La tolérance est pleine d'un sens de supériorité. Cela doit être remplacé par une totale compréhension.", Douce Mère


Pour prolonger cette réflexion, je proposerais cet article :

QU'EST-CE QUE LA SPIRITUALITE SELON SRI AUROBINDO ?

photomontage d'Amita et Niranjan Guha Roy

 La spiritualité n’est pas une haute intellectualité ni un idéalisme, un penchant éthique du mental ou une pureté et une austérité morales, ni une religiosité ou une ferveur émotive ardente et exaltée, ni même un composé de toutes ces excellentes choses. 

Dans son essence, la spiritualité est l’éveil à la réalité intérieure de notre être, à l’esprit, au Moi, à l’âme qui est autre que notre mental, notre vie et notre corps ;  

c’est une aspiration intérieure pour connaître, sentir, être Cela, pour entrer en contact avec la Réalité plus vaste qui dépasse l’univers et le pénètre, et qui demeure également en notre être ; 

c’est une aspiration pour entrer en communion avec cette Réalité et pour s’unir à elle, et, comme résultat de l’aspiration, du contact et de l’union, c’est un renversement, une conversion, une transformation de tout l’être, une croissance ou un éveil dans un nouveau devenir ou un nouvel être, un nouveau moi, une nouvelle nature. 

Sri Aurobindo, La Vie Divine, p. 37, in l'évolution spirituelle, traduction des derniers chapitres de la Vie Divine par La Mère.


Tableau de Niranjan Guha Roy


La souffrance de ce monde et la foi de l'âme en l'apocalypse supramentale

Je veux que la paix vienne dans votre esprit mental et aussi le calme, la patiente sagesse qui empêche d'aller à des conclusions hâtives et aux jugements.


 L'espace de conscience ne peut pas être blessé et il n'est qu'un. L'individuation du Divin dans notre cœur, ce feu divin en continuité avec tout le Divin comme relation sans dualité non séparée ne peut pas être blessée : l'amant divin et l'aimé divin ne sont qu'une substance immortelle dans le cœur et l'âme.

 Mais des jeux de forces et d'obscurité sèment de la douleur dans les chairs et de la souffrance dans les esprits. Ce monde peut mettre en croix l'incarnation de l'amour et contraindre à ingurgiter la cigüe pour faire taire la sagesse qui est là pour aider à l'accouchement des âmes. 

Certes Jésus Christ, le Fils de Dieu crucifié n'est crucifié de douleur que dans sa chair et la tristesse sur cette humanité qui rejette l'amour quand il se présente sous les traits d'une personne ; cette tristesse de compassion se tient au pied de la joie inhérente à l'amour inaltérable qui se tient dans son cœur, comme pour lui demander de s'incorporer, de s'incarner davantage, pour que les yeux finissent par voir. 

Aucune douleur, aucune tristesse ne peut ébranler la joie de l'amour dans un cœur où l'âme, fils/fille insexuée de Dieu s'est réalisée.

Certes le sage Socrate transporté d'amour du beau peut être condamné à mort, sans sourciller. Conscient intérieurement de son immortalité, il peut refuser de fuir pour mettre ses jurés devant leur manque de discernement de la sagesse authentique après les avoir acculer à prendre la décision injuste de sa condamnation à mort au lieu de lui mettre une amende ou une sanction lui permettant de continuer à exercer sa sagesse ailleurs. Socrate garde son égalité d'âme tout en accueillant la douleur de ses disciples avec qui il veut partager le trésor intime de ressentir la présence concrète d'une âme immortelle qui s'élève et prend conscience d'elle-même grâce à l'amour désintéressé du beau, du vrai et du juste.


Le Devenir de la manifestation mentale, émotionnelle, pulsionnelle et charnelle ne met-il pas au défi l'amour et la sagesse de surmonter cet abîme d'absurdité qui sépare apparemment la vie terrestre humaine de la Vie divine ? 

La paix, l'amour et la Joie propre à la Vie Divine qui se trouvent dans le secret intérieur, en qui nulle séparation n'existe et que nul ne peut perturber peuvent-ils déferler dans la vie la plus extérieure et matérielle ? 

Je pense à ces enfants et ces personnes qui n'auront jamais eu le loisir de retourner leur attention en eux-mêmes car les conditions et les circonstances ne leur auront jamais permis d'envisager un tel retournement. Je pense à toutes ces vies si peu éclairées par la lumière intérieure. 

En espérant mieux, une autre scène, d'autres circonstances, le feu de mon âme porte en elle l'espérance folle d'une apocalypse (révélation intégrale) du Divin dans la matière, mettant fin au règne du Mensonge.

Pour comprendre l'ancrage de cette foi dans les faits, on consultera cet extrait d'entretiens de Mère.




L'enseignement de la Katha Upanishad est réactualisé en profondeur par les enseignement de Sri Aurobindo et de Mère


Dans La Katha Upanishad, Yama explique clairement à Nachiketas cette dimension individuelle du Divin en nous qui seule nous donne dès cette vie la conscience d'une immortalité individuelle. 

Et cela ne peut se réduire à la réalisation du Soi impersonnel si on est attentif aux propos de Yama.



Elle est dans les profondeurs du cœur, une flamme sans fumée, pas plus grande que le pouce, quand sa présence se réalise pour la première fois.

La personne, de la taille d'un pouce se tient au milieu du Soi, comme le seigneur du passé et du futur, et de ce fait ne craint plus rien. C'est Cela. [Notons que le commentaire en rouge commet un faux-sens sur ce texte usuel dans le néo-advaita]


Cette personne de la taille d'un pouce est comme un feu sans fumée, seigneur du passé et du futur, il est le même aujourd'hui et demain. C'est Cela. [Notons que le commentaire en rouge commet un faux-sens sur ce texte usuel dans le néo-advaita]


Le Purusha, pas plus grand qu'un pouce, le Soi intérieur, toujours logé dans le cœur des hommes. On doit, avec constance, Le séparer de son propre corps, de la même façon qu’on sépare la tendre tige de la feuille, dans un brin d’herbe. On doit parvenir à Le connaître dans Sa radiance et Son immortalité – oui, le connaître comme le Lumineux et comme l’Immortel.


 Elle est inséparable donc de ses autres dimensions (spirituelles) dont Brahman (le Divin immanent) et Purusha absolu (Seigneur Suprême, Divin transcendant, avec une dimension personnelle). 

Au-delà des sens, sont les objets ; au-delà des objets est l'esprit mental individuel
 (le mental discursif) ; au-delà de l'esprit est l'intellect (intuitif) ; au-delà de l'intellect est l'Atman, l'Esprit. Au-delà de l'Esprit, le non-manifesté ; au-delà du non-manifesté, il y a le Purusha (le Seigneur Suprême). Au-delà de la Personne Suprême  il n'y a rien d'autre : c'est la fin, le but ultime.

D'autres Upanishad vont dans le même sens... 


Un lecteur attentif des Upanishad saura que Brahman et théisme personnel ne sont pas à opposer malgré les courants dominants actuels en occident qui insistent sur l'absolu impersonnel.


Cette réalisation du Soi avec une âme est certes rare, mais elle est possible. 

Sur la voie de Sri Aurobindo et douce Mère, elle est un des camps de base déjà fort élevé, elle est la réalisation psychique. 

"L'être psychique et l'être mental, Manomaya Purusha, ne sont pas les mêmes. L'être psychique est derrière l'esprit mental, c'est ce que les occidentaux [Sri Aurobindo songe aux platoniciens] appellent l'âme. Cet être prend intérêt aux mouvements du mental et du vital seulement quand il y a une harmonie entre ces mouvements et la vérité. La connaissance de l'être psychique est plus profonde.", Sri Aurobindo

"Le Purusha [dont le Purusha propre à l'être psychique] doit assumer tout le temps l'attitude de celui qui donne sa sanction pour le rejet des mouvements les plus bas et l'acceptation des seuls mouvements vrais.", Sri Aurobindo

Sur ce schéma qui rend compte du yoga intégral de Sri Aurobindo, on distingue la réalisation de l'atman, le Soi impersonnel du purusha au-delà du pur témoin mental, et celle d'un être psychique, la dimension personnelle du purusha dans le cœur, au plus profond des élans du cœur.

Sur la voie de Sri Aurobindo et Mère, cette réalisation de l'être psychique ou de l'âme reste cependant à peine à mi-chemin du sommet de la transformation que cette voie décrit. La réalisation de la présence de l'être psychique ou purusha dans le cœur pour se faire nécessite que l'influence psychique se fasse ressentir au niveau mental, vital et physique. Platon et Socrate qui sont d'autres prédécesseurs sur cette réalisation mentionnent une distinction essentielle entre les désirs-appétits et l'amour du beau, de la perfection. Mais quand la réalisation psychique a lieu, elle entraîne une psychisation du mental, du vital et du physique qui a une amplitude bien plus vaste qu'une simple influence. 

Ainsi cette voie développée par Sri Aurobindo et Mère est dans la continuité des upanishad et en particulier de la Katha Upanishad, mais aussi dans la continuité de la gnose occidentale néoplatonicienne et socratique. Sur cette voie, cette psychisation qui s'inscrit dans le droit fil de la réalisation de ce feu d'un pouce dans les tréfonds du cœur est le préambule d'une spiritualisation et d'une transformation évolutive au-delà de l'espèce humaine.

Si comme Sri Aurobindo et Mère le disent cette force de transformation évolutive est à l'œuvre partout, la réalisation consciente d'être une individuation du Divin et par suite la transformation psychique de l'individualisation humaine ne sera certainement plus aussi rare qu'elle a pu l'être. 

Et même si ce sera un parmi mille sur ce chemin, cela a lieu même si on l'ignore. 

Et parmi les centaines qui le réaliseront, il y en aura quelques uns qui feront faire des pas à la manifestation corporelle de la transformation physique universelle en cours. 

Et celle-ci est déjà en train d'avoir lieu pour certains de façon significative. 

Il y a toujours un risque à affirmer dogmatiquement quelque chose comme impossible.

Il se peut que tout ce qui existe soit au final une activité consciente d'une unique conscience Divine innombrable.


Ce qui est ici est aussi là-bas ; ce qui est là-bas est aussi ici. Celui qui voit la multiplicité mais ne voit pas l'un indivisible Soi errera encore et encore de mort en mort.

Ce serait une activité consciente au-delà de toute représentation mentale.

D'autres éléments pour approfondir une voie spirituelle à partir de la katha upanishad :

https://carnetphilosophique.blogspot.com/2021/06/la-realisation-spirituelle-de-lame-dans.html

- De larges extraits de la Katha Upanishad sur ce point du purusha avec une dimension individuelle dans le cœur qui serait notre dimension individuelle immortelle