mercredi 21 juillet 2021

L'ABSOLU EST-IL CONSCIENT ? CELUI QUI EXPERIMENTE L'ABSOLU COMME NON CONSCIENT COURT LE RISQUE DE S'ENDORMIR DANS L'INFINI.



LE RISQUE DE PRENDRE L'ABSOLU POUR UNE NON CONSCIENCE SELON L'ENSEIGNEMENT DE SRI AUROBINDO ET MERE ICI PRESENTE PAR SATPREM DANS SRI AUROBINDO OU L'AVENTURE DE LA CONSCIENCE.

 Dans sa hâte d’arriver… [le chercheur] suppose qu’il n’y a rien entre le mental pensant et le Très-Haut, et, fermant les yeux dans son samadhi, il essaye de se précipiter aussi vite que possible, sans même voir les grands et lumineux royaumes de l’Esprit qui s’étendent entre les deux. Peut-être arrive-t-il à ses fins, mais seulement pour s’endormir dans l’Infini 181 [Sri Aurobindo, La synthèse des yogas 20:281].

Naturellement, le chercheur dira que c’est un état merveilleux, indicible, suprême, et c’est vrai, mais comme le remarque la Mère : 

On peut en dire tout ce que l’on veut puisque, justement, on ne se souvient de rien… Oui, vous entrez en samadhi quand vous sortez de votre être conscient et que vous entrez dans une partie de votre être qui est complètement inconsciente, ou plutôt dans un domaine où vous n’avez aucune conscience correspondante… Vous êtes dans l’état impersonnel, c’est-à-dire un état où vous êtes inconscient, et c’est pour cela, naturellement, que vous ne vous souvenez de rien, parce que vous n’avez été conscient de rien. 

Sri Aurobindo disait simplement que l’extase est une forme supérieure d’inconscience. Il se pourrait que ce que nous appelons Transcendant, Absolu, Suprême, ne soit pas l’anéantissement extatique que l’on nous a si souvent dit, mais seulement la limite de notre conscience actuelle; il est peut-être absurde de dire: «ici finit le monde et là commence le Transcendant», comme s’il y avait un trou entre les deux, car le Transcendant peut commencer au b-a ba de la raison pour un pygmée et le monde s’évanouir pas plus haut que l’intellect. Il n’y a pas de trou, sauf dans notre conscience. Peut-être le progrès de l’évolution est-il, précisément, d’explorer des zones de conscience toujours plus avancées dans un inépuisable Transcendant, qui ne se situe pas vraiment «en haut» ou ailleurs hors de ce monde, mais partout ici-bas, se dévoilant lentement à notre vision – car si, un jour dans notre préhistoire, le Transcendant s’est situé un peu au-dessus du protoplasme, ce n’est pas qu’il ait quitté le monde du protoplasme pour se réfugier plus haut au-dessus du batracien, du chimpanzé puis de l’homme, dans une sorte de course d’où II est peu à peu exclu, c’est que nous avons quitté l’inconscience primitive pour vivre un peu plus avant dans un Transcendant partout présent 182.

Ainsi, au lieu de s’évanouir au sommet, ou à ce qu’il prend pour le sommet, et de croire que son extase est un signe de progrès, le chercheur devra comprendre que c’est le signe d’une inconscience et travailler à découvrir l’existence vivante qui se cache sous son éblouissement : 

Tâchez de développer votre individualité intérieure, dit la Mère, et vous pourrez entrer dans ces mêmes régions en pleine conscience, et avoir la joie de la communion avec les régions les plus hautes sans pour autant perdre conscience et revenir avec un zéro au lieu d’une expérience 183. 

Et Sri Aurobindo insistait : 

C’est dans l’état de veille que la réalisation doit venir et durer si l’on veut qu’elle soit une réalité de la vie… Les expériences et la transe yoguique ont leur utilité pour ouvrir l’être et le préparer, mais c’est seulement quand la réalisation est constante, les yeux grands ouverts, qu’on la possède vraiment 184 [Sri Aurobindo, Lettres sur le yoga, 23 : 743]

L’état de maîtrise intégrale, tel est le but que nous poursuivons, non l’état de marmotte spirituelle, et cette maîtrise n’est possible que dans la continuité de la conscience: quand nous nous extasions, nous perdons le «quelqu’un» qui pourrait faire le pont entre les pouvoirs d’en haut et l’impuissance d’en bas.

Lorsqu’il eut brisé la carapace au sommet du crâne, Sri Aurobindo se mit donc, dans la prison d’Alipore, à explorer méthodiquement les plans de conscience au-dessus du mental ordinaire, de même qu’il avait à Baroda exploré les plans de conscience en dessous. Il reprenait là où il l’avait laissée l’ascension de la grande échelle de la conscience, qui s’étend sans trou ni hiatus extatique depuis la Matière jusqu’à ce point X qui devait être le lieu de sa découverte. 

Car ce n’est pas par un saut aveugle dans l’Absolu que s’obtient la Vérité suprême ou la connaissance de soi intégrale, mais par un patient transit à travers le mental et par-delà 185 [Sri Aurobindo, La synthèse des yogas, 20 : 281].

 

N.B : J'ai souligné les passages les plus notables selon moi lecteur de ce texte.


181. The Synthesis of Yoga, 20:281



182. À ce stade de notre recherche, il n’est pas possible d’en dire plus. Il faut attendre l’expérience supramentale pour avoir la clef de cette fausse opposition.



183. On a cru mieux définir l’extase en parlant d’«enstase». Faudrait-il croire que l’on n’est «en soi» qu’à condition d’être hors de soi? car l’extase – ex-stare – par définition, consiste à être en dehors de son corps ou en dehors de la perception du monde. Nous voudrions un «en soi» qui ne soit pas hors de nous, pour dire les choses simplement. Nous ne pourrons véridiquement parler d’enstase que quand les expériences suprêmes se situeront dans notre corps et au beau milieu de la vie quotidienne; sinon c’est un abus de langage, encore qu’il exprime parfaitement, à sa façon, l’abîme que nous avons creusé entre la vie et l’Esprit.



184. Letters on Yoga, 23:743



185. The Synthesis of Yoga, 20:281



jeudi 15 juillet 2021

LES REALISATIONS DU SOI ET DE L'ÂME DANS LE PROCESSUS DE L'ABOLITION DE L'EGO SELON SRI AUROBINDO



L'être véritable peut être réalisé sous l'un des deux aspects suivants, ou sous les deux: le Moi ou ātman, et l'âme ou Antarâtman appelée aussi être psychique ou caitya puruṣa. La différence est que l'un est perçu comme universel, l'autre comme individuel et soutenant le mental, la vie et le corps. Quand on réalise d'abord l'Âtman, on le sent séparé de toutes choses, existant en lui-même et détaché[...]. Quand on réalise l'être psychique, il n'en est pas de même; car il nous apporte le sentiment d'union avec le Divin, de dépendance de Lui, d'exclusive consécration au Divin seul, et le pouvoir de changer la nature et de découvrir en nous-même le véritable être mental, le véritable être vital, le véritable être physique. L'une et l'autre de ces réalisations sont nécessaires à notre yoga.




Le "je" ou le petit ego est constitué par la Nature; c'est une formation mentale, vitale et physique à la fois, destinée à faciliter la centralisation et l'individualisation de la conscience et de l'action extérieures. Quand on découvre l'être véritable, l'utilité de l'ego est passée et cette formation doit disparaître; à sa place, on perçoit l'être véritable.


Lumières sur le Yoga, chapitre 1. Traduction de la Mère.