samedi 15 novembre 2025

De la psychisation à la spiritualisation



 Le supramental agit constamment et  aujourd'hui l'émergence psychique est accélérée par son action. Le travail de la force-conscience est le premier contact spirituel avec Mère, notre Mahashakti. La réalisation spirituelle du Soi sur le plan mental est une base solide à la rencontre du psychique caché à l'arrière du cœur. 

Mais le chemin demeure qui va de la psychisation à la spiritualisation pour aboutir à la supramentalisation. 

Même si, à l'évidence, ces processus s'enchâssent dans l'absolu, admettons que nous n'en sommes pas bien conscient, et qu'il y a un ordre de réalisations même si les expériences ne suivent en rien cet ordre. D'ailleurs, pourquoi, dans ses Lettres sur le yogaSri Aurobindo insiste sur des distinctions entre ces processus ? sinon pour qu'ils se réalisent clairement et distinctement sans rien omettre dans un seul et même processus de divinisation :

La transmutation psychique de l'être et sa spiritualisation sont deux choses différentes. La transformation spirituelle est celle qui descend d'en haut, la transformation psychique est celle qui vient du dedans, par la domination du psychique sur le mental, le vital et le physique.

Dans ses Lettres sur le yoga, Sri Aurobindo prend un autre vocabulaire pour dire ces étapes :

Les réalisations fondamentales de notre yoga sont:

1. La transformation psychique, afin qu'une dévotion complète devienne le mobile principal du cœur et régisse la pensée, la vie et l'action, en union constante avec la Mère et en sa Présence.

2. La descente de la Paix, du Pouvoir, de la Lumière, etc., de la Conscience supérieure, d'abord dans la tête et le cœur, puis dans l'être tout entier, emplissant jusqu'aux cellules du corps.

3. La perception de l'Un et du Divin infiniment partout, de la Mère partout, et le fait de vivre dans cette conscience infinie.

Ainsi nous devenons conscient de notre être psychique, il émerge en avant et sa direction se substitue à celle de l'ego. Un corps intérieur subtil commence à se former pour ce psychique. Des expériences sporadiques de conscience du supramental sont même possibles. 

Puis commence à proprement parler la spiritualisation. Les mots comme toujours sont insuffisants tant que pour celui qui les lit, ils ne pointent pas une réalité existante en dehors du mental. Il faudrait une infinité d'angles mentaux et encore ferait-on le tour d'une réalité au moins surmentale ?

Mais si nous avons pris pour guide Sri Aurobindo et Mère, ne faut-il pas prendre au sérieux les cartes mentales du territoire spirituel qu'ils nous ont laissés ? Ne devons-nous pas entendre leurs disciples comme Satprem ou Niranjan à la lumière des cartes qu'ils ont dressées, eux, les pionniers qui voyaient le futur vivant en eux ?

Mère, dans des textes de l'Anthogie Le moi multiple, p.141-151, dit qu'il faut d'abord s'individuer. L'ego est insuffisant car il est une foule amorphe et non harmonieuse de personnalités. Et cette individuation réussie, il faut l'offrir au Divin, dit-elle. Et c'est là un pré-requis au stade de la spiritualisation. Ainsi quand la psychisation s'achève, il y a un mouvement naturel de l'âme vers le Divin, mais c'est alors le mouvement du Divin à travers l'âme qui prédomine. L'âme est comme ouverte à tous les vents divins qui enfin soufflent comme ils veulent. Il n'y a plus d'effort de l'ego. "L'effort fut une aide, l'effort est l'entrave", nous dit Sri Aurobindo dans ses Aphorismes et pensées.

La pleine psychisation suppose une maîtrise psychique qui va du mental supérieur au vital inférieur. La spiritualisation débute pleinement avec la fin des troubles importants liés à l'être double, c'est-à-dire avec la cessation des perturbations fortes liées au va-et-vient entre être de surface et être psychique. L'équanimité et surtout l'égalité commencent à devenir imperturbable.

Dès lors, avec la spiritualisation, c'est la fin de toute possibilité d'attaque hostile sérieuse à/de l'intérieur. Il est devenu impossible d'y consentir et de les laisser s'insinuer en nous. Et si des attaques extérieures restent possibles, la moindre peur parait devenue injustifiable, elle n'est qu'une imperfection qui s'offre au Divin. La peur peut cohabiter avec la psychisation, mais elle deviendra impossible avec la spiritualisation, car c'est le Divin qui agit en tout et derrière chacune de nos actions, ainsi que derrière chacun des événements et des circonstances. L'égalité tend à une perfection : ce corps peut être écrasé, détruit, elle demeurera. Si c'est ce que le Divin veut, alors ce sera, même si le corps crie de douleur. 

D'ailleurs, si vraiment cela se passe comme douce Mère l'indique, la supramentalisation suppose un état comme le chat de Schrödinger, un corps à la fois du côté des morts et du côté des vivants. Et d'ailleurs, si la carte de Mère est bonne, la conscience physique va s'étendre physiquement dans tous les corps : nous serons bien en train d'être écrasé, détruit, en train d'agoniser, de mourir, etc.

La transformation typique de la spiritualisation est donc nécessaire, semble-t-il, à la supramentalisation consciente.

Dans la spiritualisation, le fait d'être mis au pied du Suprême par Mère change même le ressenti de ce qui passe face à une adversité extérieure. Si une action de Mère doit se manifester, rien ne peut plus dès lors l'empêcher. En spiritualisation, les actions adverses en apparence sont des pions dans son jeu car elle joue avec Elle-même et sourit de notre ignorance ! Tout est un jeu du Seigneur et Mère ne fait que suivre ses décrets amoureusement. De leurs serviteurs encore hésitants, nous devenons peu à peu leurs instruments. Elle fait de nous des pages blanches, ouvertes par la paix du Suprême, sur lesquelles elle n'est empêchée de rien d'appliquer les décrets du Suprême.

Niranjan Guha Roy décrit dans un poème un élément central de cette spiritualisation, la fin d'une cavité du cœur qui abrite la croissance psychique. Les murs autour du psychique sont littéralement tombés. Comme si la matrice individuelle où avait grandi jusque là le psychique était une coquille inutile.

Chaque être dans la manifestation est le Seigneur Lui-même
Qui a pris telle allure, tel rôle
Pour goûter la félicité de l’Existence.

Ma maison est petite
Mais mon cœur est grand comme l’univers, même plus.
Je reçois tous les êtres qui passent sur la scène,
Jouent un rôle et disparaissent dans le fond du temps.

Ma maison est petite
Mais mon cœur est plus grand que l’univers
Qui reçoit tous les êtres quels qu’ils soient,
Car chacun est mon Seigneur
Qui déguisé ou portant des robes flamboyantes
Mais au-dedans c’est toujours mon Seigneur,
Félicité incarnée, toujours le même quel que soit
Son rôle, sa robe, son action, son visage et son corps.

Sois le bienvenu
Dans mon cœur sans murs ni frontières,
Sois le bienvenu.

Ma maison est petite,
Comme je voudrais tout le monde chez moi !
Mais ce n’est pas possible,
Comment loger ces acteurs incalculables
Et différents les uns des autres,
Chacun jouant le rôle de son choix.

Mais mon Seigneur bienvenu,
Tu transperces tous les déguisements
Pour lancer un sourire bienveillant à mon âme enchantée.

Ma maison est petite
Mais mon cœur est plus grand que l’univers.

Je ne peux pas loger tout le monde,
Les acteurs incalculables, Tes formes énigmatiques,
Toujours plus différentes, plus fascinantes

Ma maison est petite
Mais mon cœur est grand, plus grand que l’univers.

Je ne peux pas les loger tous chez moi,
Alors j’ai pris une toile, des brosses et des couleurs,
J’ai dessiné Ton visage souriant qui me plait
Et j’ai installé la toile sur l’autel dans ma petite maison,
Ainsi Tu es présent toujours chez moi.
Toutes les formes incalculables,
Tous les drames sont comprimés
Dans un sourire ravissant, et des yeux profonds
Par où on peut plonger dans l’éternité sans forme
Et presque toucher le corps merveilleux de Ton Mystère.

Pourtant, Tu es là, sur mon autel dans un tableau
Avec un sourire qui me ravit à chaque instant.
Chaque fois que je vois Ton visage mobile,
Aux mille et mille nuances,
Chacune me rappelle Ta douceur, Ta gentillesse,
Ta noblesse, Ton amour sans borne,
Les épopées interminables séduisantes.

Mon cœur ne se fatigue jamais.
Tu l’as rempli de Ta douceur souriante,
Apaisante de l’Eternité.

***********

Niranjan Guha Roy - 2005


 En spiritualisation, les forces universelles divines vont et viennent. Car la personnalité du psychique elle-même est de plus en plus fondamentalement comme une page blanche où Mère et le Suprême agissent à leur guise. 

L'ego s'évanouit de plus en plus souvent, y compris à l'état de veille, y compris dans l'action et l'interaction. 

Son bavardage intérieur est remplacé par un silence compact, dense, un vide de conscience plein de présence divine sans aucune impression de retrait en soi.

Et lors des premiers temps de la spiritualisation, voici l'ego mimant la spiritualité, à son affaire spirituelle et l'œil de la conscience en arrière-plan montre Mère au-dessus de la tête attendant patiemment qu'il abandonne ses affaires pour fondre d'intensité dans ce corps : enfin, l'ego est démasqué, son action séparatrice devenue parfaitement inefficace. L'ego non transformé, non encore offert à Mère, est devenu un fantôme qui hante le corps et brouille la soumission naturelle de l'âme qui ne peut offrir ce corps totalement à la transformation. Mais vu dans son activité séparatrice y compris au plan spirituel, l'offrande devient possible malgré lui.

La spiritualisation est le processus d'offrande du corps à la transformation, l'âme enfin contient le corps et n'est plus une flamme d'un pouce en arrière-plan du cœur. L'ego séparateur dans ses fragments complexes est systématiquement ce qui empêche l'offrande. Un premier degré de réalisation du Soi décolle l'ego du fond de la Conscience, il devient périphérique. La psychisation fait des fragments de personnalités de l'ego une personne vraie : Un Soi avec une âme. L'ego devient second. L'abolition de l'ego tant au niveau du vital et du corps est seule possible dans la spiritualisation : c'est le Divin lui-même dans sa conscience d'action cosmique qui se vit, on est ici, on est là-bas.

Les vers suivants de Niranjan sont donc à entendre, quand on y parviendra, au sens littéral :

Ma maison est petite
Mais mon cœur est grand comme l’univers, même plus.
Je reçois tous les êtres qui passent sur la scène,
Jouent un rôle et disparaissent dans le fond du temps.

 C'est bien dans ce qui était avant un cœur avec des murs subtils, où la flamme psychique brûlait que désormais sans murs, sans coquille, tous les êtres défilent, vivent, causent, sont pris en charge par le Divin en personne. Le corps et le cœur sont désormais au sein de l'aspiration psychique, d'une flamme qui va au-dessus de la tête et qui là se distingue de moins en moins de l'action de Mère et des décrets du Suprême.

La spiritualité n'est plus une affaire personnelle, même celle d'une âme et de son véhicule ; le progrès ici est celui de tous ou de personne ; le progrès de tous est le progrès d'ici ; le progrès n'est plus celui de celui-ci ou celui-là, il est le progrès de Mère dans la manifestation de la communion de nous tous Ses enfants.

Ce qu'il reste de l'ego, quand il est offert et transformé, est de plus en plus souvent une onde dansante de dévotion émanant de l'âme, émanant de l'amour du divin avec lui-même dans ses formes sculptées, ses gestes en formes.


Tes enfants, Mère. 




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