mardi 14 août 2012

CONFRONTATION ENTRE SRI AUROBINDO ET KEN WILBER.

Cet article est une reprise de mon Carnet philosophique recorrigée en partie en mai 2025.

CE QUE KEN WILBER DIT DE CETTE CONFRONTATION.



On notera que Ken Wilber n'oublie jamais de mentionner Sri Aurobindo parmi ceux qui nourrissent le mouvement intégral. Dans ses schémas de développement de la conscience, Ken Wilber reprend clairement les termes d'overmind (surmental) et de supramental. Ken Wilber laisse bien ouverte la perspective d'une évolution au-delà du mental et donc de ce qui caractérise notre humanité.

Mais Ken Wilber laisse sous-entendre qu'il a une vision plus claire que Sri Aurobindo du point de vue de ses quadrants extérieurs et collectifs. Il est vrai que l'évolution des mentalités chez Ken Wilber a été nourrie des travaux scientifiques de Clare Graves ou de Don Beck renforcés par ceux de Piaget ou d'autres psychologues. Ces approches permettent de faire un parallèle entre développement culturel et développement psychique de l'enfant.

LA MECONNAISSANCE DE LA THEORIE DU DEVELOPPEMENT DE SRI AUROBINDO PAR KEN WILBER.

Sri Aurobindo a deux façons de considérer le développement humain et non pas une.

1 - Celle qui se rapproche de Ken Wilber est celle qui envisage un développement culturel en fonction de la taille des groupes humains : famille, tribu, ethnie, nation, fédération international comprenant des figures intermédiaires comme les empires, les royaumes, etc. qui préfiguraient ce qui se dessine. Bien sûr, chaque échelle fonctionne suivant une certaine mentalité qui en assure la cohérence et en légitime l'organisation.


2- La deuxième à la fois se rapproche de celle de Wilber mais aussi s'en détache.


Même schéma que précédemment mais réinterprété à la lumière de Douglas Harding



Ce schéma de Ken Wilber suggère qu'il existe des catégories d'éveil liés à différents niveaux de développement mental qu'il soit individuel ou collectif. En effet, chacun en grandissant traverse ces étapes psychologiques ou sociales et les diverses communautés culturelles ont un centre de gravité à une échelle ou l'autre de ce développement ascendant. Il y a là un point d'accord important avec les thèses de Sri Aurobindo (ou l'expérience dont il témoigne si l'on veut être précis). En effet, pour Sri Aurobindo, le Nirvana peut être réalisé sur différents plans de développement qu'ils soient d'ordre vital (prémental), d'ordre mental ou surmental (intuitif). Cet éveil au Nirvana, qui en quelque sorte déréalise les phénomènes n'est pas un éveil évolutif proprement dit. On conviendra qu'un éveil évolutif nous donnerait la clé spirituelle permettant une ascension verticale des niveaux de développement dans un état de conscience non duelle. D'où le schéma que j'ai proposé en illustrant les niveaux grossiers (naturel), subtil, causal et non duel du point de vue de la vision sans tête:
Schéma du développement psychospirituel relié à l'ETRE et au DEVENIR évolutif.

Dans ce schéma, il y aurait un facteur d'éveil dans les subtilités de l'état non duel qui œuvrerait à l'évolution des degrés de développement. On peut peut-être représenter ce facteur ainsi du point de vue de Wilber :

Et c'est sur ce point qui 
selon nous, reste imprécis chez Ken Wilber hormis la référence à un Eros, un Telos que Sri Aurobindo nous apporte des lumières de sa propre expérience.

Car ces schémas précédents traduisent fort mal voire trahissent la vision développementale que propose Sri Aurobindo. 
En effet, chez Sri Aurobindo, cette vision se propose d'intégrer la vision traditionnelle d'une forme de décadence des époques telle qu'on la trouve dans les textes hindous ou telle qu'un Guénon l'a formulée. Elle propose si on la traduit au niveau développemental individuel d'expliquer comment le regard si pur et si dénué de dualité du bébé se perd dans une forme d'égocentrisme lorsque se produit la mentalisation de la conscience de l'enfant. La vision développementale de Sri Aurobindo implique alors des critiques sur la vision du développement de l'enfant à l'adulte, ces critiques valent sur la vision qu'a développé Ken Wilber. Elles portent tout autant sur ce qui concerne la vision développementale des mentalités sociales.

A ce propos ne négligeons pas les textes de Sri Aurobindo sur l'éducation qui nous donnent des indications précises sur sa théorie du développement de l'enfant et qui met toujours en jeu l'âme et l'œuvre de descente de la Mère (ou Esprit du Monde, Devenir cosmique, si l'on veut préciser un peu ce que désigne le Principe Mère chez Sri Aurobindo).


Les pionniers de l'aventure spirituelle en Egypte auraient aussi approcher une expérience surmentale. 
Ces dernières années, la psychologie de l'enfant a montré que ceux-ci intuitionnaient, par exemple,  le concept d'oiseau distinct du concept d'avion avant même de distinguer clairement une pie et un corbeau, un monoplace d'un avion de ligne : à vrai dire, parler de concept en ce qui concerne l'enfant est imprécis car il ne s'agit pas encore d'un mot mais d'un symbole intérieur, d'une idée au sens platonicien. 
Un  Stephen Jourdain évoquait aussi à ce sujet un retour à l'enfance où il y a un vécu direct des essences dont la magie symbolique nous échappe une fois la mentalisation arrivée à l'âge adulte, dans la mesure où elle a pu mettre en place l'illusion psychologique de l'ego.

Partant de cette analyse développementale de l'enfant, il y a l'idée que l'être psychique, l'âme en croissance, l'authentique principe de singularisation et d'individuation de la conscience universelle, de vie en vie, assure l'évolution dans son processus proprement individuel est présent autant à l'aube de l'humanité qu'à l'aube de l'enfance. Il y a l'idée que, l'expérience mentale augmentant, cette pureté de départ s'étiole. Si on en revient à l'évolution sociale, comme le suggère Le cycle humain de Sri Aurobindo, la force intuitive de la pensée symbolique se serait de plus en plus sclérosée dans une société conservatrice et prisonnière des conventions qui lui avaient donné un certain équilibre harmonieux.
Pour Sri Aurobindo, le système social qui, primitivement, avait été holarchique (au sens de Wilber) est alors peu à peu devenu hiérarchique. L'âge typal, terme technique utilisé par Sri Aurobindo, est une première étape dans cette évolution : il fige des castes même si leurs membres sont tous considérés encore d'une même dignité et que certaines sociétés mettaient encore en valeur le lien entre naturel spirituel et appartenance à une caste conçue comme un mode de développement spirituel privilégié. Le cycle Humain paraît très clair à ce niveau. A vrai dire, si la vision de Sri Aurobindo est juste et, si comme nous le croyons, il décrit la dégénérescence d'un système holarchique, la pensée de Ken Wilber qui pointe la nécessité d'un système holarchique social peut en être quelque peu ébranlée. 

Pour Sri Aurobindo, la raison est le rempart à la dérive traditionnaliste et à son effritement féodal quand déjà le pouvoir réel n'appartient plus à des chercheurs spirituels mais à des gardiens de dogmes et en général aux hommes d'armes. Là encore, il y a un nouvel écart avec la pensée de Ken Wilber et plus largement avec celle que la spirale dynamique promeut. 
Le stade égocentrique guerrier ne suivrait pas alors le stade tribal. Ce stade dit égocentrique serait plutôt un stade héroïque et, toujours en suivant Sri Aurobindo, il aurait produit la pensée symbolique la plus raffinée par l'union en cités et en royaume. Considérer un soi-disant stade égocentrique guerrier de l'enfant serait plutôt notre projection négative sur lui, alors que lui doit passer par un stade héroïque où il doit dire non au risque de perdre son confort. Le fameux "stade du non", si on suit Sri Aurobindo et ses disciples ne serait peut-être pas celui de la constitution de l'égocentrisme. On peut y voir l'impulsion vitale du processus d'individuation comme singularisation, si on admet que l'individualisation résultant du stade du miroir voit l'émergence d'un complexe égoïque où s'envisage notre individualité du point de vue de l'autre. Cet héroïsme qui interrompt la bonne marche du mimétisme qui, jusque là, prédomine dans l'individualisation est un passage décisif si on veut que l'âme ou l'être psychique de l'enfant demeure en avant. 
Ce serait plutôt notre incapacité d'entendre ce "non" qui se transformant en violence éducative au lieu et place d'une éducation amenant à une compréhension juste de conventions sociales respectueuses de la singularité des enfants. Actuellement ceci produit des êtres à leur tour violents et développe une agressivité égocentrique qui étouffe la plupart du temps toute influence psychique proprement individuante. 
On sait maintenant que dans la cours d'école ou même la crèche celui qui a été frappé frappe, que celui qui a blessé psychiquement blesse, etc. sauf exception.


A vrai dire, le processus d'individualisation n'a pas chez Ken Wilber une dimension ontologique comme chez Sri Aurobindo. Ken Wilber nous parle d'individualisation mais pas d'individuation proprement dite. Chez Sri Aurobindo, il y a une dimension de singularité préexistante qui s'individue derrière l'apparente individualisation dans la manifestation qu'est l'ego : ceci n'a pas de réel équivalent chez Ken Wilber. Cette conception implique certaines pratiques psychospirituelles dont il n'est guère question dans les théories développementales de Ken Wilber. 
D'ailleurs, cette ignorance conduit à produire des kits d'éveil évolutif qui seraient pertinents pour tous comme n'importe quel produit de consommation standard. 

Par ailleurs, pour Sri Aurobindo, le féodalisme est l'aboutissement du traditionalisme et de l'affaiblissement de la recherche spirituelle ouverte et non pas le fait d'une mentalité centrée sur l'affirmation guerrière de soi. D'ailleurs, l'importance de l'honneur est typique du féodalisme et elle n'est guère une valeur égocentrique au sens individualiste. A vrai dire, le vital du guerrier est plus large dans ses possibilités que le vital étriqué du prêtre traditionaliste. Le déséquilibre du guerrier féodal va réveiller la voie spirituelle du cœur. 
Dans notre littérature occidentale, il y a ce lien entre le cœur et une conduite chevaleresque authentique.
 

Mais le cœur peut être fanatique, même quand il relativise la rudesse de l'honneur. Templiers et chevaliers teutoniques sont caractéristiques. 
L'âge moderne de la raison est donc un sursaut dans le cercle de l'histoire mentale : l'individu grâce à l'universel peut de nouveau être sa propre autorité et reprendre ses droits contre le féodalisme et les tendances fanatiques issues du traditionalisme. 
Ici nous avons un point de recoupement et d'accord entre Sri Aurobindo et Ken Wilber.

Mais ce qui suit ce stade consacre de nouveau une rupture entre les deux approches. 
Pour Sri Aurobindo, la raison n'est pas encore la subjectivisation qui va marquer le romantisme ou l'art de vivre moderne du XIXème plus encore que les Lumières ou le rationalisme du XVIIème. 
Le mental subjectiviste permet alors une expression d'une identité non pas seulement à valeur universelle mais à consonance individuante.


Là se présente le risque identitaire dont le XXème siècle a finalement été le témoin dramatique et dont la menace dans les urnes semble persistante en ce début de XXIème siècle. 
Là où Ken Wilber ou d'autres défenseurs de la spirale dynamique expliquent les catastrophes nazies ou nationalistes comme des retours à la prémodernité, Sri Aurobindo pointe un danger différentialiste inhérent à ce qu'on peut appeler une forme de postmodernité vitaliste. 
La postmodernité est entendue ici comme subjectivisation et non comme relativisme suite à la disparition de la domination des grands récits au sens de la spirale dynamique wilbérienne. La majorité morale américaine ou le Tea Party aux USA ou,  en France, le FN et les gens de droite ou de gauche qui en partagent de nombreuses valeurs représentent aujourd'hui ce danger.

Et donc, selon Sri Aurobindo, c'est la spiritualisation du subjectivisme (individuel et social) qui pourra éviter les dangers de la subjectivisation égocentrique, voire égoïste ou agressive. 
Si on veut bien regarder le développement des individus, on verra que l'acquisition de la raison est globalement satisfaisante jusqu'à l'adolescence, mais qu'alors commence un processus de subjectivisation dans nos sociétés postmodernes qui parfois ne trouve aucune issue spirituelle.
Pour Sri Aurobindo, la démocratie elle-même qui est le système politique de cette mentalité de la subjectivisation se trouve prise dans une crise de croissance qui ne pourrait avoir une issue qu'avec une forme d'anarchisme mystique où l'individuation dans le cœur susciterait une organisation d'une souplesse jamais vue. 

Il envisage comme une dialectique entre des visions collectivistes (de droite, communautaristes voire fascistes et de gauche, communistes ou socialistes) et individualistes (de droite ultralibérale et de gauche libertaire-libérale) de la démocratie qui n'auront de satisfaction dans leurs exigences légitimes qu'avec un anarchisme mystique. 
L'ashram de Sri Aurobindo fonctionnait d'ailleurs en ce sens au niveau matériel puisque tout était mis en commun et redistribué en fonction des besoin de chacun. 
Auroville, la cité du future, a été impulsée en ce sens par Mère, Mirra Alfassa. Comme Auroville n'était pas autosuffisante économiquement, Mère a invité tout de même fortement à relativiser, dans le même sens, l'importance de l'argent et à éviter toute pratique de propriété individuelle familialement transmissible. 
Toute cette dialectique économique qui vise à passer d'une société centrée sur l'avoir à une société centrée sur l'être semble étrangère à Wilber et ses soutiens majeurs américains dans le champ spirituel. 
On a souvent l'impression que la réussite matérielle est la base de la réussite spirituelle dans le mouvement intégral côté Ken Wilber. A Auroville ou à l'ashram de Sri Aurobindo, cette réussite matérielle n'a jamais été autant au centre. Wilber est-il conscient qu'il induit la réussite matérielle comme garante de l'intégration de la mentalité moderne ? Cette inconscience montre sa non intégration des idées du vivre-ensemble issue de la tradition de gauche la plus radicale. Pierre Leroux, la théosophie, Tolstoï ou Gandhi après Thoreau ont pourtant porté de telles valeurs dans des communautés de style anarchiste. 
A vrai dire, Ken Wilber est prisonnier ou victime des préjugés américains de base tels que Weber les a décrit dans L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme où au fond la réussite matérielle garantit la valeur spirituelle d'une entreprise. 


Rares aux USA, ceux qui échappent à ce préjugés. En Europe, la pensée de la gauche radicale a assez souvent été proche d'une certaine recherche spirituelle. En France, on évoquera Del Vasto, disciple de Ghandi chantre de la frugalité et inspirateur de nombreux gaucho-écologistes, comme récemment Pierre Rabbhi. On évoquera aussi Emmanuel Mounnier, Jacques Ellul, chrétiens proches d'une gauche libertaire et leurs expériences communautaires. Un peu plus loin en arrière, il y a Jaurès, disciple secret de Pierre Leroux, vraisemblablement le premier intégraliste complet, le premier à penser une spiritualité intégrale non religieuse car au-delà de la confrontation de diverses religions. Et bien sûr on ne peut pas omettre Jean-Jacques Rousseau, auxquels Leroux et Jaurès se réfèrent. Rousseau est d'ailleurs le père de l'éducation nouvelle dont se réclame Auroville,  et il est l'inspirateur de la démocratie radicale non représentative dont sont héritières toutes les formes d'anarchisme libertaire.


Certes Sri Aurobindo et ses disciples seraient d'accord avec Ken Wilber et certains de ses défenseurs pour dire qu'il y a égale dignité mais inégalité spirituelle. Mais cette inégalité spirituelle ne sera pleinement claire que du point de vue d'une spiritualité poursuivant un processus d'individuation abouti. En fait, cette évidence de l'inégalité spirituelle ne sera pas contraire à une politique démocratique radicale. La différence spirituelle ne mettra pas en jeu l'appropriation, la reconnaissance ou la reproduction mais l'évolution biologique elle-même. D'ailleurs, dans l'ashram de Sri Aurobindo, tout le monde était égal avant 1926, date du premier Darshan. Au départ, Sri Aurobindo et Mère n'avaient pas plus de pouvoir décisionnel et de reconnaissance que les autres dans ce qui était avant tout un laboratoire de l'évolution. Ce n'est que l'écart de plus en plus évident pour tous dans l'évolution qui avait conféré un statut spécial à Sri Aurobindo et Mère. Mais ceci dit, Mère ou Sri Aurobindo donnaient des conseils et des avis plus que des ordres intransigeants. Ils ne mettaient pas en avant la voie du gourou, aidant chacun à trouver le guide de l'individuation du Divin en son cœur. Ils demandaient à leurs disciples de ne pas adorer mais d'évoluer. Il s'agit sur cette voie de s'appuyer sur le besoin d'être de l'âme vraie qui doit s'arracher à l'ego et ses désirs. La base solide de départ de cette voie est l'éveil à cette individuation qui a sa source dans le fond du cœur au centre du torse. Une fois cet être psychique authentique, mis en avant, peut commencer une participation de plus en plus consciente au Devenir évolutif. L'éveil du Soi est à cet égard insuffisant, selon cette voie, c'est à travers l'éveil à notre âme vraie au sein du Soi que précisément nous devenons le véhicule de l'évolution. L'intransigeance de cette voie ne devient saillante que lorsqu'il y a insincérité à l'encontre du besoin d'êtrede l'âme vraie. 
Auroville qui a été fondée du vivant de Mère est clairement démocratique même si, loin de son idéal, elle n'est pas encore une anarchie mystique telle que Mère l'envisageait. Elle n'est pas une action harmonieuse d'une pluralité d'âme qui ne font qu'un au service du Devenir évolutif.


Ainsi tout se jouait et se joue certainement pour la majorité d'entre nous entre subjectivisation et spiritualité tant au niveau de notre développement individuel qu'au niveau social et politique. 


LES DIFFERENCES ENTRE WILBER ET SRI AUROBINDO CONCERNANT L'EVOLUTION DE LA CONSCIENCE AU-DELA DE LA SPIRITUALISATION.



Les grandes différences d'accent développemental entre Wilber et Sri Aurobindo ne sont pas seulement au niveau individuel et collectif. Elles touchent au statut du rapport entre ce que Wilber nomme l'intérieur et l'extérieur dans ses quadrants.
Pour Sri Aurobindo et ses disciples, "Tout est conscience". Ce qui nous semble un point de vue extérieur est dû à une connaissance mentale indirecte et non à une conscience directe par identité élargie. L'évolution de la conscience se caractérise par une intériorisation de ce qui n'était qu'extérieur. 
Ainsi celui qui avancera sur le chemin de l'évolution distinguera de moins en moins de frontière entre son évolution et celle de toute l'humanité, entre son évolution biologique et l'évolution de la matière, etc. 
De ce point de vue, certaines interprétations des quatre quadrants de Wilber risquent de faire manquer la cosmicisation par intériorisation et le fondamental "TOUT est conscience".

A propos de "TOUT EST CONSCIENCE", dans ses Lettres sur le yoga, Partie 1 - Section 5, Plans et parties de l'être, Sous-section 1: La Conscience, Sri Aurobindo écrit:

"C'est donc cela la conscience: elle n'est pas composée de parties, elle est le fondement de l'être et donne elle-même une forme à toutes les parties qu'elle choisit de manifester, en les élaborant depuis le haut vers le bas dans une descente progressive depuis les niveaux spirituels vers l'involution dans la Matière, ou en leur donnant une forme au premier plan, dans un mouvement ascendant, par ce que nous appelons l'évolution. Si elle choisit de travailler en vous à travers le sentiment de l'ego, vous pensez que c'est le "je" clairement délimité qui fait tout; si elle commence à se libérer de ce fonctionnement limité, vous commencez à étendre votre sentiment du "je" jusqu'à ce qu'il éclate pour devenir infini et n'existe plus, ou vous vous en dépouillez et vous vous épanouissez pour devenir une immensité spirituelle. Évidemment, ce n'est pas là ce que la pensée matérialiste moderne appelle conscience, parce que cette pensée est assujettie à la science et ne voit la conscience que comme un phénomène qui émerge de la Matière inconsciente et qui consiste en certaines réactions de l'organisme aux objets extérieurs. Mais cela, c'est un phénomène de conscience, ce n'est pas la conscience elle-même, ce n'est même qu'une très petite partie de tous les phénomènes possibles de conscience, et cela ne peut donner aucune indication sur la Conscience, cette Réalité qui est l'essence même de l'existence.
C'est tout pour le moment. Il faudra que vous vous arrêtiez là-dessus - car c'est fondamental - avant qu'il soit utile d'aller plus loin.
"

A vrai dire, le quadrant fournit juste une interprétation de l'évolution de conscience. Car Wilber s'inscrit dans ce qu'il appelle la postmétaphysique et n'absolutise pas ses quadrants. Il juge qu'une expérience de conscience n'existe que relativement à une interprétation. Autrement dit, puisque le contexte d'interprétation exprime autant la valeur de l'expérience que l'expérience elle-même, comment dès lors penser une expérience de conscience surpramentale, c'est-à-dire l'existence d'un niveau de conscience au-delà du mental ? Si, vraiment, un être a une action dans le monde par-delà le mental, comment le contexte d'interprétation mental compterait-il encore ? La théorie de Wilber même si elle s'ouvre à un au-delà de l'homme en évoquant le supramental manque de cohérence sur ce point. Cela ne signifie-t-il pas que Ken Wilber n'a jamais eu le moindre aperçu d'une conscience supramentale dans son expérience spirituelle ? Car un tel aperçu relativiserait sans nul doute radicalement le niveau de conscience mentale. A vrai dire, le silence mental serait sans doute nécessaire pour s'avancer plus avant dans ce nouveau niveau de conscience et, s'il y a une considération mentale qui demeure, ce serait comme un commentaire lointain, une expression incomplète de ce qui resterait largement en dehors de sa compétence.

Dessin de Sujata commentant une expérience de Satprem, un disciple français de Sri Aurobindo.


Ken Wilber et sa postmétaphysique ne sont pas accordables en l'état à la fameuse citation de Sri Aurobindo : "Le supramental s'expliquera de lui-même".

Son art de penser n'est donc pas en l'état perméable à un surmental voire à un supramental. 

Nous avons tenté de concevoir un art de penser qui ne soit pas étanche à la venue d'un supramental dans un post précédent : Pensée totalisante et art de penser intégral. Mais cela n'est encore qu'une conception prisonnière de la sphère surmentale, telle que Sri Aurobindo en souligne les limites vis-à-vis d'une réalité supramentale.

mercredi 1 août 2012

SRI AUROBINDO : APHORISMES (EXTRAIT).

Article repris de Foudre évolutive.

En écho au post de Olivier Breteau dans son Blog Le Journal Intégral :


Quand nous avons
dépassé les savoirs
Alors nous avons la connaissance
La raison fût une aide
La raison est l'entrave

Quand nous avons

dépassé les velléités
Alors nous avons le pouvoir
L'effort fût une aide
L'effort est l'entrave

Quand nous avons dépassé les

jouissances
Alors nous avons la béatitude
Le désir fût une aide
Le désir est l'entrave

Quand nous avons dépassé

l'individualisation
Alors nous sommes des personnes réelles
Le moi fût une aide
Le moi est l'entrave

Quand nous dépasserons

l'humanité
Alors nous serons l'homme
L'animal fût une aide
L'animal est l'entrave


Commentaires :

Avertissement :
Précisons que ces commentaires ne sont pas exhaustifs. Ils tentent un éclairage à partir des données immédiates de l'éveil à Cela que par exemple la Vision Sans Tête ou l'éveil évolutif nous donne. La spiritualisation dont parle Sri Aurobindo m'est inconnue en la perfection qu'il décrit. Quant à la supramentalisation, ce n'est pour moi qu'une hypothèse que de très rares percées et mon besoin d'être m'amènent à envisager et à espérer.


La raison n'est pas la véritable connaissance qui ne peut être qu'une connaissance par identité, une conscience consciente d'elle-même. Ainsi Cela n'est connu que par Cela. Lorsque Cela est envisagé par la raison, il est représenté par des images mais Cela n'est pas connu. Cela n'est connu que par Cela c'est-à-dire sans médiation. L'ego qui est connu en Cela reste un voile de Cela qui interdit plus ou moins la prise de Conscience de Cela.  L'ego induit encore une aventure vers une connaissance de Cela par Cela sans voile. L'ego est mental, vital et physique pour Sri Aurobindo.

Nous avons tous plus ou moins des velléités de perfection. Nous aspirons de temps à autre à plus de perfection pour nous-mêmes. Mais ce but nécessite des efforts pour avoir une aspiration plus constante. Ce but exige une concentration plus profonde d'abord dans la foi pour le divin ensuite quand il y a connaissance une concentration pour s'aventurer davantage dans le divin sans l'oublier. Mais au fond cette concentration est le reflet d'une lumière, d'un feu d'aspiration tout au fond de nous-même d'abord entrevu, à peine perceptible mais qui revient entre les nuages porter son feu de gloire.Quand cela surgit de l'espace de perception à la croisée de la dimension universelle et de la dimension individuelle de cet espace alors il y a comme cette lumière dans le cœur qui brille sans effort. C'est comme un paradoxe de paix, de joie et de besoin d'être d'aspiration patiente à plus. A l'effort de la concentration succède la grâce qui exige comme un effort vers l'absence d'effort pour laisser Cela agir de lui-même.

Le désir de Cela faisait comme des jouissances. L'ego qui cherchait Cela se voyant en Cela jouit satisfait d'être l'émanation de Cela par la quelle Cela redevient conscient de Cela. Il y a comme un mouvement jouissif de va et vient entre la conscience de Cela et la conscience de l'ego par le biais de la conscience de l'ego redécouvrant Cela. Mais à vrai dire ce mouvement jouissif n'est pas la joie inhérente à la lumière de Cela à la croisée de ses dimensions transcendante, universelles et individuelles. En cette lumière de Cela par laquelle je suis individu authentiquement une émanation de Cela dans son universel et son unité, il y a une joie qui n'est pas une jouissance d'un sujet pour un objet. Pour Sri Aurobindo la jouissance qui implique un reliquat de sujet et d'objet fera place dans l'approfondissement de la vision de Cela à la joie sans objet dans laquelle Cela se manifeste. La béatitude est dans cette perspective la nature même de Cela qui se manifeste. L'individualité n'est plus qu'une ridule de l'océan de la béatitude, Cela même Qui s'auto-crée en Cela. Et c'est le désir soudain qui nous exile de cet océan de béatitude nous amenant à rejouer le jeu du sujet et de l'objet, le jeu du chercheur qui à l'occasion jouira de sa découverte de Cela, oubliant ce qu'il ne cesse d'être une ridule de béatitude dans l'océan de la béatitude.

Nous touchons donc pour Sri Aurobindo à ce moment où la lumière à la croisée de l'universel et de l'individuel n'est plus enfermée dans le reflet d'un ego qui cherche à jouir. Le moi qui était jusque là la condition nécessaire de la réalisation de CELA. Le moi qui devait vouloir et désirer s'éveiller à CELA puis qui lui ayant permis de se réaliser à travers lui devait sans cesse se rappeler de sa Présence pour le laisser rayonner à travers lui devient alors un obstacle à la réalisation de CELA. Pour Sri Aurobindo, là où il y avait un ego se sacrifiant à CELA, il ne restera qu'une individualisation de CELA, un pur instrument cristallisant consciemment la volonté de CELA. Cette individualisation n'est plus qu'une distinction sans différence de la cosmicité et de la transcendance de CELA.

Le dernier paragraphe ouvre la perspective de la supramentalisation qui succède à la spiritualisation. Selon Sri Aurobindo, la spiritualisation dans sa perfection consiste donc en ce que le chemin spirituel n'est plus mené par le moi mais par CELA seul. Cette spiritualisation s'accomplit au niveau de l'intelligence, de la volonté et de l'affection. La supramentalisation est la transformation de notre réalité pulsionnelle. Nos pulsions d'appropriation (la faim comme la recherche de possession, etc.), de reconnaissance ( la gloire aussi bien pour l'histoire que la focalisation des regards de la table voisine, l'agressivité qui va de l'irritation au surgissement de violence, etc.) et de reproduction (sexuelle, liée à la conservation du corps et à ses habitudes plus ou moins bonnes, etc.) sont les ferments inconscients de notre animalité qui ne disparaît pas avec la spiritualisation mais qui se civilisent. La supramentalisation consisterait d'abord à les transformer en une intelligence alors qu'elles sont des forces mécaniques qui souterrainement agissent et que la spiritualisation pouvait juste tenir en bride. L'homme en ce sens pourrait être fondamentalement le premier être vivant capable d'évoluer biologiquement et non seulement spirituellement consciemment. Cette vocation d'être homme serait paradoxalement le dépassement de notre réalité humaine biologique...