CE QUE KEN WILBER DIT DE CETTE CONFRONTATION.
On
notera que Ken Wilber n'oublie jamais de mentionner Sri Aurobindo parmi
ceux qui nourrissent le mouvement intégral. Dans ses schémas de
développement de la conscience, Ken Wilber reprend clairement les termes
d'overmind (surmental) et de supramental. Ken Wilber laisse bien ouverte
la perspective d'une évolution au-delà du mental et donc de ce qui
caractérise notre humanité.
Mais
Ken Wilber laisse sous-entendre qu'il a une vision plus claire que Sri
Aurobindo du point de vue de ses quadrants extérieurs et collectifs. Il
est vrai que l'évolution des mentalités chez Ken Wilber a été nourrie
des travaux scientifiques de Clare Graves ou de Don Beck renforcés par ceux de Piaget
ou d'autres psychologues. Ces approches permettent de faire un parallèle entre
développement culturel et développement psychique de l'enfant.
LA MECONNAISSANCE DE LA THEORIE DU DEVELOPPEMENT DE SRI AUROBINDO PAR KEN WILBER.
Sri Aurobindo a deux façons de considérer le développement humain et non pas une.
1
- Celle qui se rapproche de Ken Wilber est celle qui envisage un
développement culturel en fonction de la taille des groupes humains :
famille, tribu, ethnie, nation, fédération international comprenant des
figures intermédiaires comme les empires, les royaumes, etc. qui
préfiguraient ce qui se dessine. Bien sûr, chaque échelle fonctionne
suivant une certaine mentalité qui en assure la cohérence et en légitime l'organisation.
2- La deuxième à la fois se rapproche de celle de Wilber mais aussi s'en détache.
Ce
schéma de Ken Wilber suggère qu'il existe des catégories d'éveil liés à
différents niveaux de développement mental qu'il soit individuel ou collectif. En effet, chacun en grandissant traverse ces étapes psychologiques ou sociales et les
diverses communautés culturelles ont un centre de gravité à une échelle ou l'autre
de ce développement ascendant. Il y a là un point d'accord important
avec les thèses de Sri Aurobindo (ou l'expérience dont il témoigne si
l'on veut être précis). En effet, pour Sri Aurobindo, le Nirvana peut
être réalisé sur différents plans de développement qu'ils soient d'ordre
vital (prémental), d'ordre mental ou surmental (intuitif). Cet éveil au
Nirvana, qui en quelque sorte déréalise les phénomènes n'est pas un
éveil évolutif proprement dit. On conviendra qu'un éveil évolutif nous
donnerait la clé spirituelle permettant une ascension verticale des
niveaux de développement dans un état de conscience non duelle. D'où le
schéma que j'ai proposé en illustrant les niveaux grossiers (naturel),
subtil, causal et non duel du point de vue de la vision sans tête:
Dans ce schéma, il y aurait un facteur d'éveil dans les subtilités de l'état non duel qui œuvrerait à l'évolution des degrés de développement. On peut peut-être représenter ce facteur ainsi du point de vue de Wilber :
Et c'est sur ce point qui selon nous, reste imprécis chez Ken Wilber hormis la référence à un Eros, un Telos que Sri Aurobindo nous apporte des lumières de sa propre expérience.
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Même schéma que précédemment mais réinterprété à la lumière de Douglas Harding |
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Schéma du développement psychospirituel relié à l'ETRE et au DEVENIR évolutif. |
Dans ce schéma, il y aurait un facteur d'éveil dans les subtilités de l'état non duel qui œuvrerait à l'évolution des degrés de développement. On peut peut-être représenter ce facteur ainsi du point de vue de Wilber :
Et c'est sur ce point qui selon nous, reste imprécis chez Ken Wilber hormis la référence à un Eros, un Telos que Sri Aurobindo nous apporte des lumières de sa propre expérience.
Car ces schémas précédents traduisent fort mal voire trahissent la vision
développementale que propose Sri Aurobindo.
En effet, chez Sri Aurobindo, cette vision se
propose d'intégrer la vision traditionnelle d'une forme de décadence des
époques telle qu'on la trouve dans les textes hindous ou telle qu'un
Guénon l'a formulée. Elle propose si on la traduit au niveau
développemental individuel d'expliquer comment le regard si pur et si
dénué de dualité du bébé se perd dans une forme d'égocentrisme lorsque
se produit la mentalisation de la conscience de l'enfant. La vision
développementale de Sri Aurobindo implique alors des critiques sur la
vision du développement de l'enfant à l'adulte, ces critiques valent sur la vision qu'a développé Ken Wilber. Elles portent tout autant sur ce qui concerne la vision développementale des mentalités sociales.
A ce propos ne négligeons pas les textes de Sri Aurobindo sur l'éducation qui nous donnent des indications précises sur sa théorie du développement de l'enfant et qui met toujours en jeu l'âme et l'œuvre de descente de la Mère (ou Esprit du Monde, Devenir cosmique, si l'on veut préciser un peu ce que désigne le Principe Mère chez Sri Aurobindo).
A ce propos ne négligeons pas les textes de Sri Aurobindo sur l'éducation qui nous donnent des indications précises sur sa théorie du développement de l'enfant et qui met toujours en jeu l'âme et l'œuvre de descente de la Mère (ou Esprit du Monde, Devenir cosmique, si l'on veut préciser un peu ce que désigne le Principe Mère chez Sri Aurobindo).
Les pionniers de l'aventure spirituelle en Egypte auraient
aussi approcher une expérience surmentale.
Ces dernières années, la
psychologie de l'enfant a montré que ceux-ci intuitionnaient, par exemple, le concept d'oiseau distinct du concept d'avion avant même de
distinguer clairement une pie et un corbeau, un monoplace d'un avion de ligne : à vrai dire, parler de
concept en ce qui concerne l'enfant est imprécis car il ne s'agit pas
encore d'un mot mais d'un symbole intérieur, d'une idée au sens platonicien.
Un
Stephen Jourdain évoquait aussi à ce sujet un retour à l'enfance où il
y a un vécu direct des essences dont la magie symbolique nous échappe
une fois la mentalisation arrivée à l'âge adulte, dans la mesure où elle a
pu mettre en place l'illusion psychologique de l'ego.
Partant de cette analyse développementale de l'enfant, il y a l'idée que l'être psychique, l'âme en croissance, l'authentique principe de singularisation et d'individuation de la conscience universelle, de vie en vie, assure l'évolution dans son processus proprement individuel est présent autant à l'aube de l'humanité qu'à l'aube de l'enfance. Il y a l'idée que, l'expérience mentale augmentant, cette pureté de départ s'étiole. Si on en revient à l'évolution sociale, comme le suggère Le cycle humain de Sri Aurobindo, la force intuitive de la pensée symbolique se serait de plus en plus sclérosée dans une société conservatrice et prisonnière des conventions qui lui avaient donné un certain équilibre harmonieux.
Pour Sri Aurobindo, le système social qui, primitivement, avait été holarchique (au sens de Wilber) est alors peu à peu devenu hiérarchique. L'âge typal, terme technique utilisé par Sri Aurobindo, est une première étape dans cette évolution : il fige des castes même si leurs membres sont tous considérés encore d'une même dignité et que certaines sociétés mettaient encore en valeur le lien entre naturel spirituel et appartenance à une caste conçue comme un mode de développement spirituel privilégié. Le cycle Humain paraît très clair à ce niveau. A vrai dire, si la vision de Sri Aurobindo est juste et, si comme nous le croyons, il décrit la dégénérescence d'un système holarchique, la pensée de Ken Wilber qui pointe la nécessité d'un système holarchique social peut en être quelque peu ébranlée.
Partant de cette analyse développementale de l'enfant, il y a l'idée que l'être psychique, l'âme en croissance, l'authentique principe de singularisation et d'individuation de la conscience universelle, de vie en vie, assure l'évolution dans son processus proprement individuel est présent autant à l'aube de l'humanité qu'à l'aube de l'enfance. Il y a l'idée que, l'expérience mentale augmentant, cette pureté de départ s'étiole. Si on en revient à l'évolution sociale, comme le suggère Le cycle humain de Sri Aurobindo, la force intuitive de la pensée symbolique se serait de plus en plus sclérosée dans une société conservatrice et prisonnière des conventions qui lui avaient donné un certain équilibre harmonieux.
Pour Sri Aurobindo, le système social qui, primitivement, avait été holarchique (au sens de Wilber) est alors peu à peu devenu hiérarchique. L'âge typal, terme technique utilisé par Sri Aurobindo, est une première étape dans cette évolution : il fige des castes même si leurs membres sont tous considérés encore d'une même dignité et que certaines sociétés mettaient encore en valeur le lien entre naturel spirituel et appartenance à une caste conçue comme un mode de développement spirituel privilégié. Le cycle Humain paraît très clair à ce niveau. A vrai dire, si la vision de Sri Aurobindo est juste et, si comme nous le croyons, il décrit la dégénérescence d'un système holarchique, la pensée de Ken Wilber qui pointe la nécessité d'un système holarchique social peut en être quelque peu ébranlée.
Pour
Sri Aurobindo, la raison est le rempart à la dérive traditionnaliste et
à son effritement féodal quand déjà le pouvoir réel n'appartient plus à
des chercheurs spirituels mais à des gardiens de dogmes et en général
aux hommes d'armes. Là encore, il y a un nouvel écart avec la pensée de Ken Wilber et plus largement avec celle que la spirale
dynamique promeut.
Le stade égocentrique guerrier ne suivrait pas alors le
stade tribal. Ce stade dit égocentrique serait plutôt un stade héroïque et, toujours en suivant Sri Aurobindo, il aurait produit la pensée
symbolique la plus raffinée par l'union en cités et en royaume.
Considérer un soi-disant stade égocentrique guerrier de l'enfant serait
plutôt notre projection négative sur lui, alors que lui doit passer par
un stade héroïque où il doit dire non au risque de perdre son confort.
Le fameux "stade du non", si on suit Sri Aurobindo et ses disciples ne
serait peut-être pas celui de la constitution de l'égocentrisme. On peut y voir l'impulsion vitale du processus d'individuation
comme singularisation, si on admet que l'individualisation résultant du stade du miroir voit l'émergence d'un complexe égoïque où s'envisage notre individualité du point de vue de l'autre. Cet héroïsme qui interrompt la bonne marche du
mimétisme qui, jusque là, prédomine dans l'individualisation est un passage décisif si on veut que l'âme ou l'être psychique de
l'enfant demeure en avant.
Ce serait plutôt notre incapacité d'entendre
ce "non" qui se transformant en violence éducative au lieu et place
d'une éducation amenant à une compréhension juste de conventions
sociales respectueuses de la singularité des enfants. Actuellement ceci produit des êtres à
leur tour violents et développe une agressivité égocentrique qui étouffe la plupart du temps toute influence psychique proprement individuante.
On sait
maintenant que dans la cours d'école ou même la crèche celui qui a été
frappé frappe, que celui qui a blessé psychiquement blesse, etc. sauf
exception.
A
vrai dire, le processus d'individualisation n'a pas chez Ken Wilber une
dimension ontologique comme chez Sri Aurobindo. Ken Wilber nous parle d'individualisation mais pas d'individuation proprement dite. Chez Sri Aurobindo, il y
a une dimension de singularité préexistante qui s'individue
derrière l'apparente individualisation dans la manifestation qu'est
l'ego : ceci n'a pas de réel équivalent chez Ken Wilber. Cette
conception implique certaines pratiques psychospirituelles dont il n'est guère question
dans les théories développementales de Ken Wilber.
D'ailleurs, cette
ignorance conduit à produire des kits d'éveil évolutif qui seraient
pertinents pour tous comme n'importe quel produit de consommation
standard.
Par ailleurs, pour Sri Aurobindo, le féodalisme est l'aboutissement du
traditionalisme et de l'affaiblissement de la recherche spirituelle
ouverte et non pas le fait d'une mentalité centrée sur l'affirmation
guerrière de soi. D'ailleurs, l'importance de l'honneur est typique du
féodalisme et elle n'est guère une valeur égocentrique au sens
individualiste. A vrai dire, le vital du guerrier est plus large dans ses
possibilités que le vital étriqué du prêtre traditionaliste. Le
déséquilibre du guerrier féodal va réveiller la voie spirituelle du
cœur.
Dans notre littérature occidentale, il y a ce lien entre le cœur et une conduite chevaleresque authentique.
Mais
le cœur peut être fanatique, même quand il relativise la rudesse de
l'honneur. Templiers et chevaliers teutoniques sont caractéristiques.
L'âge moderne de la raison est donc un sursaut dans le cercle de l'histoire
mentale : l'individu grâce à l'universel peut de nouveau être sa propre
autorité et reprendre ses droits contre le féodalisme et les tendances
fanatiques issues du traditionalisme.
Ici nous avons un point de
recoupement et d'accord entre Sri Aurobindo et Ken Wilber.
Mais
ce qui suit ce stade consacre de nouveau une rupture entre les deux
approches.
Pour Sri Aurobindo, la raison n'est pas encore la
subjectivisation qui va marquer le romantisme ou l'art de vivre moderne
du XIXème plus encore que les Lumières ou le rationalisme du XVIIème.
Le mental subjectiviste permet alors une expression d'une identité non
pas seulement à valeur universelle mais à consonance individuante.
Là
se présente le risque identitaire dont le XXème siècle a finalement été
le témoin dramatique et dont la menace dans les urnes semble
persistante en ce début de XXIème siècle.
Là où Ken Wilber ou d'autres
défenseurs de la spirale dynamique expliquent les catastrophes nazies ou
nationalistes comme des retours à la prémodernité, Sri Aurobindo pointe
un danger différentialiste inhérent à ce qu'on peut appeler une forme
de postmodernité vitaliste.
La postmodernité est entendue ici comme
subjectivisation et non comme relativisme suite à la disparition de la
domination des grands récits au sens de la spirale dynamique
wilbérienne. La majorité morale américaine ou le Tea Party aux USA ou, en France, le FN et les gens de droite ou de gauche qui en partagent de
nombreuses valeurs représentent aujourd'hui ce danger.
Et
donc, selon Sri Aurobindo, c'est la spiritualisation du subjectivisme (individuel et social)
qui pourra éviter les dangers de la subjectivisation égocentrique, voire
égoïste ou agressive.
Si on veut bien regarder le développement des
individus, on verra que l'acquisition de la raison est globalement
satisfaisante jusqu'à l'adolescence, mais qu'alors commence un processus
de subjectivisation dans nos sociétés postmodernes qui parfois ne trouve
aucune issue spirituelle.
Pour
Sri Aurobindo, la démocratie elle-même qui est le système politique de
cette mentalité de la subjectivisation se trouve prise dans une crise de
croissance qui ne pourrait avoir une issue qu'avec une forme
d'anarchisme mystique où l'individuation dans le cœur susciterait une organisation d'une souplesse jamais vue.
Il
envisage comme une dialectique entre des visions collectivistes (de
droite, communautaristes voire fascistes et de gauche, communistes ou
socialistes) et individualistes (de droite ultralibérale et de gauche libertaire-libérale) de la démocratie qui n'auront de satisfaction dans leurs
exigences légitimes qu'avec un anarchisme mystique.
L'ashram de Sri Aurobindo fonctionnait d'ailleurs en ce sens au niveau matériel puisque tout était
mis en commun et redistribué en fonction des besoin de chacun.
Auroville, la cité du future, a été impulsée en ce sens par Mère, Mirra Alfassa. Comme Auroville n'était pas autosuffisante économiquement, Mère a invité
tout de même fortement à relativiser, dans le même sens, l'importance de
l'argent et à éviter toute pratique de propriété individuelle familialement transmissible.
Toute cette dialectique économique qui vise à passer d'une
société centrée sur l'avoir à une société centrée sur l'être semble
étrangère à Wilber et ses soutiens majeurs américains dans le champ
spirituel.
On a souvent l'impression que la réussite matérielle est la
base de la réussite spirituelle dans le mouvement intégral côté Ken Wilber. A Auroville ou à l'ashram de Sri Aurobindo, cette réussite
matérielle n'a jamais été autant au centre. Wilber est-il conscient qu'il induit la réussite matérielle comme garante de l'intégration de la
mentalité moderne ? Cette inconscience montre sa non intégration des
idées du vivre-ensemble issue de la tradition de gauche la plus radicale. Pierre Leroux, la théosophie, Tolstoï ou Gandhi après Thoreau ont pourtant porté de telles valeurs dans des communautés de style anarchiste.
A vrai dire, Ken Wilber est prisonnier ou
victime des préjugés américains de base tels que Weber les a décrit dans
L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme où au fond la réussite matérielle garantit la valeur spirituelle d'une entreprise.
Rares
aux USA, ceux qui échappent à ce préjugés. En Europe, la pensée de la
gauche radicale a assez souvent été proche d'une certaine recherche
spirituelle. En France, on évoquera Del
Vasto, disciple de Ghandi chantre de la frugalité et inspirateur de
nombreux gaucho-écologistes, comme récemment Pierre Rabbhi. On évoquera aussi Emmanuel Mounnier, Jacques Ellul, chrétiens
proches d'une gauche libertaire et leurs expériences communautaires. Un peu plus loin en arrière, il y a Jaurès, disciple
secret de Pierre Leroux, vraisemblablement le premier intégraliste
complet, le premier à penser une spiritualité intégrale non religieuse
car au-delà de la confrontation de diverses religions. Et bien sûr on ne peut pas omettre Jean-Jacques Rousseau, auxquels Leroux et Jaurès se réfèrent. Rousseau est d'ailleurs le père de l'éducation nouvelle dont se réclame Auroville, et il est l'inspirateur de la démocratie radicale non représentative dont sont héritières toutes les formes d'anarchisme libertaire.
Certes
Sri Aurobindo et ses disciples seraient d'accord avec Ken Wilber et
certains de ses défenseurs pour dire qu'il y a égale dignité mais
inégalité spirituelle. Mais cette inégalité spirituelle ne sera
pleinement claire que du point de vue d'une spiritualité poursuivant un
processus d'individuation abouti. En fait, cette évidence de
l'inégalité spirituelle ne sera pas contraire à une politique
démocratique radicale. La différence spirituelle ne mettra pas en jeu
l'appropriation, la reconnaissance ou la reproduction mais l'évolution
biologique elle-même. D'ailleurs, dans l'ashram de Sri Aurobindo, tout le
monde était égal avant 1926, date du premier Darshan. Au départ, Sri Aurobindo et Mère n'avaient
pas plus de pouvoir décisionnel et de reconnaissance que les autres dans
ce qui était avant tout un laboratoire de l'évolution. Ce n'est que
l'écart de plus en plus évident pour tous dans l'évolution qui avait
conféré un statut spécial à Sri Aurobindo et Mère. Mais ceci dit, Mère ou
Sri Aurobindo donnaient des conseils et des avis plus que des ordres
intransigeants. Ils ne mettaient pas en avant la voie du gourou, aidant chacun à trouver le guide de l'individuation du Divin en son cœur. Ils demandaient à leurs disciples de ne pas adorer mais d'évoluer. Il s'agit sur cette voie de s'appuyer sur le besoin d'être de l'âme vraie qui doit s'arracher à
l'ego et ses désirs. La base solide de départ de cette voie est l'éveil à cette individuation qui a sa source dans le fond du cœur au centre du torse. Une fois cet être psychique authentique, mis en avant, peut commencer une participation de plus en plus consciente au Devenir évolutif. L'éveil du Soi est à cet égard insuffisant, selon cette voie, c'est à travers l'éveil à notre âme vraie au sein du Soi que précisément nous devenons le véhicule de l'évolution. L'intransigeance de cette voie ne devient saillante que lorsqu'il y a insincérité à l'encontre du besoin d'êtrede l'âme vraie.
Auroville qui a été
fondée du vivant de Mère est clairement démocratique même si, loin de son idéal, elle n'est
pas encore une anarchie mystique telle que Mère l'envisageait. Elle n'est pas une action harmonieuse d'une pluralité d'âme qui ne font qu'un au service du Devenir évolutif.
Ainsi
tout se jouait et se joue certainement pour la majorité d'entre nous
entre subjectivisation et spiritualité tant au niveau de notre
développement individuel qu'au niveau social et politique.
En
l'état, Ken Wilber est, semble-t-il, étranger à la psychisation, à la
prise de conscience de l'âme individuelle qui évolue pour émmerger au niveau mental. Or, selon Sri Aurobindo et ses disciples, elle est la condition préalable à
une spiritualisation fiable tant au niveau individuel que collectif. Elle est ce autour de quoi un nouvel être autrement qu'humain pourrait se constituer.
LES DIFFERENCES ENTRE WILBER ET SRI AUROBINDO CONCERNANT L'EVOLUTION DE LA CONSCIENCE AU-DELA DE LA SPIRITUALISATION.
Les
grandes différences d'accent développemental entre Wilber et Sri
Aurobindo ne sont pas seulement au niveau individuel et collectif. Elles
touchent au statut du rapport entre ce que Wilber nomme l'intérieur et
l'extérieur dans ses quadrants.
Pour
Sri Aurobindo et ses disciples, "Tout est conscience". Ce qui
nous semble un point de vue extérieur est dû à une connaissance mentale
indirecte et non à une conscience directe par identité élargie. L'évolution de la conscience
se caractérise par une intériorisation de ce qui n'était qu'extérieur.
Ainsi
celui qui avancera sur le chemin de l'évolution distinguera de moins en
moins de frontière entre son évolution et celle de toute l'humanité,
entre son évolution biologique et l'évolution de la matière, etc.
De ce point de vue, certaines interprétations des quatre quadrants de Wilber risquent de faire manquer la cosmicisation par intériorisation et le fondamental "TOUT est conscience".
A propos de "TOUT EST CONSCIENCE", dans ses Lettres sur le yoga, Partie 1 - Section 5, Plans et parties de l'être, Sous-section 1: La Conscience, Sri Aurobindo écrit:
"C'est donc cela la conscience: elle n'est pas composée de parties, elle est le fondement de l'être et donne elle-même une forme à toutes les parties qu'elle choisit de manifester, en les élaborant depuis le haut vers le bas dans une descente progressive depuis les niveaux spirituels vers l'involution dans la Matière, ou en leur donnant une forme au premier plan, dans un mouvement ascendant, par ce que nous appelons l'évolution. Si elle choisit de travailler en vous à travers le sentiment de l'ego, vous pensez que c'est le "je" clairement délimité qui fait tout; si elle commence à se libérer de ce fonctionnement limité, vous commencez à étendre votre sentiment du "je" jusqu'à ce qu'il éclate pour devenir infini et n'existe plus, ou vous vous en dépouillez et vous vous épanouissez pour devenir une immensité spirituelle. Évidemment, ce n'est pas là ce que la pensée matérialiste moderne appelle conscience, parce que cette pensée est assujettie à la science et ne voit la conscience que comme un phénomène qui émerge de la Matière inconsciente et qui consiste en certaines réactions de l'organisme aux objets extérieurs. Mais cela, c'est un phénomène de conscience, ce n'est pas la conscience elle-même, ce n'est même qu'une très petite partie de tous les phénomènes possibles de conscience, et cela ne peut donner aucune indication sur la Conscience, cette Réalité qui est l'essence même de l'existence.
C'est tout pour le moment. Il faudra que vous vous arrêtiez là-dessus - car c'est fondamental - avant qu'il soit utile d'aller plus loin."
A propos de "TOUT EST CONSCIENCE", dans ses Lettres sur le yoga, Partie 1 - Section 5, Plans et parties de l'être, Sous-section 1: La Conscience, Sri Aurobindo écrit:
"C'est donc cela la conscience: elle n'est pas composée de parties, elle est le fondement de l'être et donne elle-même une forme à toutes les parties qu'elle choisit de manifester, en les élaborant depuis le haut vers le bas dans une descente progressive depuis les niveaux spirituels vers l'involution dans la Matière, ou en leur donnant une forme au premier plan, dans un mouvement ascendant, par ce que nous appelons l'évolution. Si elle choisit de travailler en vous à travers le sentiment de l'ego, vous pensez que c'est le "je" clairement délimité qui fait tout; si elle commence à se libérer de ce fonctionnement limité, vous commencez à étendre votre sentiment du "je" jusqu'à ce qu'il éclate pour devenir infini et n'existe plus, ou vous vous en dépouillez et vous vous épanouissez pour devenir une immensité spirituelle. Évidemment, ce n'est pas là ce que la pensée matérialiste moderne appelle conscience, parce que cette pensée est assujettie à la science et ne voit la conscience que comme un phénomène qui émerge de la Matière inconsciente et qui consiste en certaines réactions de l'organisme aux objets extérieurs. Mais cela, c'est un phénomène de conscience, ce n'est pas la conscience elle-même, ce n'est même qu'une très petite partie de tous les phénomènes possibles de conscience, et cela ne peut donner aucune indication sur la Conscience, cette Réalité qui est l'essence même de l'existence.
C'est tout pour le moment. Il faudra que vous vous arrêtiez là-dessus - car c'est fondamental - avant qu'il soit utile d'aller plus loin."
A
vrai dire, le quadrant fournit juste une interprétation de l'évolution de
conscience. Car Wilber s'inscrit dans ce qu'il appelle la
postmétaphysique et n'absolutise pas ses quadrants. Il juge qu'une
expérience de conscience n'existe que relativement à une interprétation.
Autrement dit, puisque le contexte d'interprétation exprime autant la valeur
de l'expérience que l'expérience elle-même, comment dès lors penser une
expérience de conscience surpramentale, c'est-à-dire l'existence d'un
niveau de conscience au-delà du mental ? Si, vraiment, un être a une
action dans le monde par-delà le mental, comment le contexte
d'interprétation mental compterait-il encore ? La théorie de Wilber même
si elle s'ouvre à un au-delà de l'homme en évoquant le supramental
manque de cohérence sur ce point. Cela ne signifie-t-il pas que Ken Wilber n'a jamais
eu le moindre aperçu d'une conscience supramentale dans son expérience
spirituelle ? Car un tel aperçu relativiserait sans nul doute radicalement le niveau de conscience
mentale. A vrai dire, le silence mental serait sans doute nécessaire pour s'avancer plus avant dans ce nouveau niveau de conscience
et, s'il y a une considération mentale qui demeure, ce serait comme un
commentaire lointain, une expression incomplète de ce qui resterait
largement en dehors de sa compétence.
![]() |
Dessin de Sujata commentant une expérience de Satprem, un disciple français de Sri Aurobindo. |
Ken Wilber
et sa postmétaphysique ne sont pas accordables en l'état à la fameuse
citation de Sri Aurobindo : "Le supramental s'expliquera de lui-même".
Son art de penser n'est donc pas en l'état perméable à un surmental voire à un supramental.
Son art de penser n'est donc pas en l'état perméable à un surmental voire à un supramental.
Nous avons tenté de concevoir un art de penser qui ne
soit pas étanche à la venue d'un supramental dans un post précédent : Pensée totalisante et art de penser intégral. Mais cela n'est encore qu'une conception prisonnière de la sphère surmentale, telle que Sri Aurobindo en souligne les limites vis-à-vis d'une réalité supramentale.