samedi 30 décembre 2023

LA TRANSFORMATION DU DESIR SELON SRI AUROBINDO



Extrait de la synthèse des yogas, le yoga de la perfection, Purification – le mental inférieur, p.137

<< Comme nous l’avons dit, chaque instrument a une action propre et légitime, et en même temps une déformation ou un principe qui fausse cette action. L’action propre du prâna psychique est la possession et la jouissance pures, bhôga. Jouir de la pensée, de la volonté, de l’action, de l’élan dynamique, du résultat de l’action, des émotions, des sentiments, des sensations, et jouir aussi, par eux, des objets, des personnes, de la vie et du monde, telle est l’activité à laquelle ce prâna fournit une base psycho-physique. 

Une jouissance vraiment parfaite de l’existence ne peut venir que quand l’objet de notre jouissance n’est pas le monde en lui-même et pour lui-même mais Dieu dans le monde, quand ce ne sont pas les choses elles-mêmes mais l’Ânanda de l’esprit dans les choses qui constitue l’objet véritable, essentiel, de notre jouissance, les choses n’étant que des formes et des symboles de l’esprit, des vagues de l’océan d’Ânanda. 

Mais cet Ânanda ne peut vraiment se manifester que lorsque nous arrivons à dégager et refléter dans nos divers éléments l’être spirituel caché, et sa plénitude ne peut s’obtenir qu’en s’élevant jusqu’au supramental. 

En attendant, il existe une jouissance humaine des choses, juste, permise, tout à fait légitime, qui est d’une nature principalement sâttvique, pour employer le langage psychologique de l’Inde. C’est une jouissance éclairée, surtout dans le mental perceptif, esthétique et émotif, et accessoirement seulement dans l’être sensoriel nerveux et dans l’être physique, mais tous sont également soumis au gouvernement lucide de la buddhi, à une raison et une volonté justes, une juste réceptivité des impacts de la vie, un ordre juste, un sentiment juste de la vérité, de la loi, du sens idéal et de la beauté des choses et de leur usage. 

Le mental extrait la pure essence, la pure jouissance, rasa1 , et rejette tout ce qui est agité, trouble ou pervers. À cette acceptation du rasa clair et limpide, le prâna psychique doit apporter le sens complet de la vie et une jouissance qui emplisse tout l’être, bhôga, sans quoi l’acceptation et la possession mentales, rasa-grahana, ne seraient pas assez concrètes, elles seraient trop éthérées pour satisfaire tout à fait l’âme dans un corps. Cette contribution est sa fonction propre. 

Ce qui s’oppose à la pureté, cet élément qui s’introduit dans notre nature et la pervertit est une forme de convoitise vitale. Au fond, la grande déformation que le prâna psychique impose à notre nature, c’est le désir. 

Or le désir s’enracine dans la convoitise vitale qui cherche à se saisir de ce que nous croyons ne pas posséder; c’est l’instinct limité de la vie qui veut posséder et se satisfaire. Il crée un sentiment de manque : d’abord la simple convoitise vitale : la faim, la soif, la luxure, puis les appétits de toutes sortes; puis les convoitises psychiques du mental qui sont une affliction beaucoup plus grande et plus accaparante et qui s’infiltrent dans tout notre être — la faim qui est infinie parce que c’est la faim d’un être infini, et la soif à jamais inassouvie car elle est par nature insatiable. 

Le prâna psychique envahit le mental-des-sensations et y introduit la soif sans trêve de sensations; il envahit le mental dynamique, convoite l’autorité, veut posséder, dominer, réussir à tout prix, satisfaire toutes ses impulsions; prenant possession du mental émotif, il cherche à satisfaire ses sympathies, à donner libre cours à ses antipathies, à son amour, à sa haine ; il est cause des reculs et des paniques, de la frayeur et des tensions et des espoirs déçus, il impose les tortures de la douleur, les fièvres soudaines et les flambées de joie, vite éteintes; il pousse l’intelligence et la volonté intelligente à devenir leurs complices pour en faire des instruments déformés et boiteux dans leur propre domaine : la volonté devient convoitise et l’intelligence avide, partiale et tâtonnante court après des opinions limitées et hâtives et des préjugés militants. 

Le désir est à la racine de tous les chagrins, toutes les déceptions, toutes les afflictions, car, bien qu’il goûte la joie fiévreuse de la quête et de la satisfaction, il crée sans cesse une tension dans l’être ; cette quête et ce gain s’accompagnent d’un dur labeur, d’une faim, d’un conflit, d’une prompte sujétion à la fatigue, d’un sentiment de limitation et d’insatisfaction, d’un désappointement rapide face à toutes ses acquisitions, d’une stimulation malsaine et sans trêve, du trouble, de l’inquiétude : ashânti. 

Se débarrasser du désir est l’unique, l’indispensable et puissante purification du prâna psychique ; dès lors, nous pouvons remplacer l’âme de désir et son ingérence générale dans tous nos instruments par l’âme mentale de calme et limpide félicité qui prend possession de nous-mêmes, du monde et de la Nature, car c’est sur cette clarté cristalline que se fondent la vie mentale et sa perfection. >>


1. Prononcer « rassa ». 


"Le résultat n'est pas le but de l'action, mais le délice éternel de Dieu dans le devenir, la vision et l'action.", Sri Aurobindo


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire